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dimanche, octobre 02, 2005

Tout la journée, nous aurons attendu la pluie 

Ce qui continue à marquer chaque jour ici, c’est que tout est fait au maximum, au plus profond et que jamais une intention ne reste suspendue dans une demi-réalisation hésitante. il n’est pas besoin de despote mégalomane pour réaliser des versailles car ce sont les petites mains, les braves gens du quotidien, qui vont mener à bien les tâches qui permettent d’atteindre à la complétude de la forme. Ainsi, quand un temple commence sur une montagne, peut-être le promeneur sera-t-il fatigué de sa visite exploratoire avant même d’avoir saisi la géographie de l’ensemble; sûrement sentira-t-il saturation de signes face à la multiplicité des ex-voto (si ce n’en sont pas, strictement, ils sont frères), des reproductions, statuettes, fleurs vivantes et séchées, senteurs d’encens qui surgissent sans fumée. à fushimi-inari on peut contempler les très célèbres et très recommandées enfilades de tori rouge-shinto. il s’agit de monter dans la colline et de suivre ces allées à la perspective perturbante, éclairées la nuit par des lanternes de pierres rares et qui ne rassurent pas ceux qui sont trop sensibles à la présence des esprits. car au japon, ces ancêtres devenus puissants dans la mort ne sont pas renvoyés dans un au-delà dont la limite est claire et définitive, mais ils semblent se réserver un espace dans les pierres, les édifices de bois silencieux, les cordelettes qui flottent au vent ; quand on passe à proximité et plus encore quand on s’enfonce dans les dédales de stèles moussues, on se sent accompagné d’une énergie immense et poliment indifférente.
tenter de sortir des chemins peuplés de touristes participants activement et bruyamment aux rituels d’entretien du temple peut être très dangereux car les araignées des forêts de cette ville tendent des toiles d’une résistance telle que l’on découvre l’angoisse de la mouche après quelques pas d’une promenade inattentive. manquant de courage face à ces monstres dorés larges comme la paume, il arrive qu’on cherche plutôt des allées déjà clairement balisées. et malgré la thématique obsessionnelle de la porte noir et rouge, on peut suivre des routes de pierres bien plates qui serpentent entre des bambous sur pieds, à l’air guère plus naturel que leurs cousins maintenant transformés et peints que l’on a quitté avec la foule. Tout en haut, un temple très discret d’où les renards sont totalement absents, remplacés pas des dragons blancs aux dorures clairsemées. Ce temple semble avoir à voir avec la littérature et une statue de scribe y côtoie des petites plaques de bois qui représente une jeune femme éperdue. peut-être une femme malheureuse dont l’histoire nous dit qu’elle a perpétué le suicide d’amour. dans ces zones on croise principalement de vieux hommes droits comme des piquets au bob clair fièrement planté sur la tête, déambulant comme pour une promenade de santé. en continuant à s’enfoncer, on tombe sur des renards et des stèles arrangées dans un désordre compulsif à flanc de montagne, et sur 100 m2, on peut prier au moins 10 fois face à des autels odorants et cachés.
en fuyant quelques instants la montagne-temple dont les renards au regard fixe donnent une sensation de présence importune, on rencontre encore un de ces lieux de prière, encore plus vide que tous les précédents. pour couronner la sensation de malaise et de fascination, un terrain vague avoisinant accueille un vieux poêle qui s’est consumé et dégage fumée opaque et odeur de feu de maison tandis que des habits témoignent que ce lieu est habité. encore des petits tori déposés par les prieurs et des autels, des renards, des renards en famille, parfois très vieux à la tête manquante, parfois tout fraîchement déposés. une cavité permet, si on le souhaite, d’aller se laver sous la douche jaillissante d’eau détournée de la rivière pour les ablutions (qu’on imagine matinales) du prêtre.
un ami. au regard fixe et troublant au milieu des statues d’animal sacré. un de ces chats européens qui rappelle invariablement un animal que l’on a connu jadis, et qui pour un chat japonais n’est ni snob ni trouillard mais en demande de caresses, encore dans une jeunesse qui ne lui a pas laissé le temps d’oublier les soins ronronnant de sa mère.
retour lent à la civilisation pour croiser des enfants pleins de morve qui ne craignent pas les mille-pattes piqueurs. le vent dans les bambous provoque des bruits de château hanté et fait voleter des feuilles encore vertes. des allées de tori, des japonais mal habillés et portant une serviette sur le cou, car venus pour l’exercice dans cet enchevêtrement de portails aux tailles variables et à la calligraphie plus ou moins uniforme. encore des ondes telluriques, c’est le pays où la moindre pierre semble chaude et prête à trembler de fureur (les bretons sont sûrement habitués). à la sortie, après le ras-le-bol qui suit le lessivage de cerveau, on retrouve les splendeurs rassurantes des stands de gâteaux et de souvenirs de mauvais goût, indispensables à tout voyage en terre sacrée. cette forêt trop sèche donne soif et la pluie qui gorge les nuages ne se décide pas à nous rejoindre.

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